From Cahiers du Cinéma #334/355, avril 1982 (a special issue called “Made in USA”). I wrote this commissioned article (about two of Robert Altman’s stage productions) in English, while working with Serge Daney in New York on a number of other assignments. The French text is all I have now, and I’ve decided to reproduce it here because it’s the only account of these productions that I know about that are written from a filmic perspective, and the recent release on an Olive Films Blu-Ray of Come Back to 5 & Dime Jimmy Dean, Jimmy Dean (the Altman film, which for me removes most of the major virtues of the Broadway production) makes this perspective all the more relevant….Reproducing this French text has entailed a lot of retyping, and I hope I haven’t made too many mistakes. (I’ve also corrected a few typos, including “Atlman” for “Altman”.) -– J.R.
Après avoir vendu sa maison de production, Lion’s Gate Films, l’année dernière, Robert Altman a annoncé qu’il avait l’intention de se lancer dans une carrière théâtrale, il a d’abord mis en scène à Los Angeles deux petites pièces expérimentales en un acte écrites par Frank South; dans I’une, il n’y a que deux personnages (chacun tenant séparément un monologue et n’échangeant aucun dialogue) ; l’autre n’a qu’un personnage (qui fait un monologue tenant du tour de force). Altman a ensuite monté ce programme, 2 by South, à New York I’automne dernier, et les critiques ont été assez chaleureux. Un journaliste a pu écrire : “On a qualifié le mise en scène de ‘nerveuse, légère et solide, ’ et c’est peut-être la première fois qu’on utilise de tels adjectifs pour parler d’une oeuvre d’Altman.” Mais il faut dire que ces efforts modestes du metteur en scène de McCabe and Mrs Miiler ont été présentés de la St Clement’s Church, un théâtre non commercial situé à l’ouest du quartier de Broadway. Et le soir ou j’ai vu la pièce, en octobre dernier, il y avait à peine plus de trois ou quatre douzaines de personnes présentes dans la salle, dont Pauline Kael, Karen Black et Altman en personne: C’etait dommage, car les acteurs aussi bien que la mise en scène étaient excellents, surtout dans la seconde pièce, où Leo Burmester interpretait rémarquablement un médecin de campagne renégat qui attendait dans sa cellule de prison d’être pendu pour meurtre. Mais I’aspect le plus impressionnant de I’économie de la mise en scène d’Altman était peut-être toute la resource qu’il avait su tirer du décor de la prison, grâce à une inventivité architecturale rendant l’espace scénique constamment vivant et imprévisible.
ll y avait donc toutes les raisons d’attendre avec impatience, après cette première tentative “Off-Broadway,” la première pièce montée à Broadway par Altman: Come Back to the 5 & Dime Jimmy Dean, Jimmy Dean de Ed Craczyk. L’intérêt était accru par le fait que les trois actrices tenant les rôles principaux étaient Cher (chanteuse et vedette de la télévision, qui a tenu en 1969 le rôle prlncipal dans Chastity), Sandy Dennis (vétéran de cinéma d’Altman depuis That Cold Day in the Park), et Karen Black (autre “veteran” depuis Nashville,) et aussi parce que le sujet semblait idéalement fait pour Altman don’t on connait le goût pour l’ironie et la satire, puisqu’il s’agit d’un club de fans passionnés de James Dean dans une petite ville du Texas pendant le tournage de Giant en 1955, qui se retrouve vingt ans plus tard — l’action passant sans arrêt d’une période à l’autre. En 1957, Altman a produit et dirigé, en collaboration avec George W. George, un documentaire intitulé The James Dean Story, lequel eut un prix. Il était une tentative assez prétentieuse pour dégonfler le mythe James Dean, appuyée par un symbolisme daté (comme une mouette morte sur une plage), mais il est évident qu’Altman a fait des progrès considerable depuis vingt-cinq ans, et même le titre de la nouvelle pièce suggère à juste titre qu’il a aujourd’hui traité le même thème avec beaucoup plus d’esprit et d’originalité.
Et c’est en partie le cas. Si la soirée laisse un legèr goût de déception, c’est surtout à cause des limites propres à la pièce, qui est un application assez académique du théâtre à la Tennessee Williams et William Inge, qui garantit virtuellement une révélation-surprise au deuxieme acte sur chaque personnage présenté au premier….(Presque invariablement, d’ailleurs, il s’agit toujours d’une révélation qui trahit un rêve artificiel.) En ce qui concerne les “idées,” Come Back to the 5 & Dime Jimmy Dean, Jimmy Dean est aussi limité par des platitudes que Ia fin de Nashville s’était vu imposer une fausse unlté par l’emploi rhétorique du drapeau américain. Pourtant, comme dans la première moitié de Nashville, Altman lance un vrai feu d’artifice avec sa manière d’utiliser, de déplacer, de situer et de juxtaposer ses acteurs, ce qui maintient sur la scène des possibilités vivantes tant que les idées restent secondaires par rapport au flux de l’action d’ensemble. Et une nouvelle fois, comme dans la seconde pièce de 2 by South, la mise en scène d’Altman est une grande réussite au plan de l’architecture et des décors: ici, un grand magasin bon marché, divisé intelligemment en plusieurs couches complexes, et où se déroule toute I’action. (Un “5 & Dime,” en argot du Sud, est un magasin de ce type, assez proche d’un Monoprix, mais en général pourvu d’un comptoir ou l’on sert des boissons sucrées.) Pour créer les deux époques, 1955 et 1975, le magasin est divisé en deux, de chaque côté du comptoir situé au milieu de la scène, les autres éléments du décor étant faits pour ressembler a des miroirs face à face où chacun reflète (et inverse) I’autre côté.
La densité des sons, des images, des voix et des personnalités qui se superposent est un signe distinctif du style d’Altman, une sorte d’onirisme fondamental qu’il partage dans une certalne mesure avec d’autres cinéastes nés sous le signe des poissons (par exemple, Buñuel, Bertolucci, Jerry Lewis, Minnelli, Rivette). Même la prèmiere image de la piéce, avant I’ouverture du rideau de plastique transparent (sur lequel on voit l’extérieur du magasin), fait penser à un fondu de film. Le mot “Woolworth” (nom de cette chaîne de magasins) apparait trois fois sous le manteau d’Arlequin: une fois en rouge au premier plan ; une fois en couleur bronze en plan moyen, et une fois en noir à l’arrière plan. Un néon éclairant alternativement un “5” rouge et un “dime” bleu a I’intérieur d’un cercle jaune domine également l’action, tandis que des étagères emplies avec recherche, à I’arrière du magasin, font voir des objets qui évoluent la célèbre scène de la cuisine dans La Splendeur des Ambersons.
La pièce va-t-elle avoir du succès? Au moment où ce numéro des Cahiers sort, les représentations vont commencer après une série de premières et beaucoup de publicité; et en l’absence d’articles de critique dans la presse locale, il est trop tôt pour le dire. Lors de la représentation que j’ai vue, le public a réagi avec enthousiasme. La mise en scène fait preuve de dextérité dans la manière dont les personnages passent d’un temps d l’autre, et d’une partie de la scène de l’autre, ce qu’accompagnent des subtiles trasnitions dans le jeu des actrices, surtout chez Sandy Dennis, principalement avec sa voix. Tout cela contribute à éviter que ce que la pièce a de plus prévisible ne devienne ennuyeux. Il y a d’ailleurs d’autre “trucs”. Comme on découvre au deuxème acte, Karen Black joue Joanne, un ancien homme (Joe) qui a subi une opération pour changer de sexe, mais Mark Patton (le seul acteur masculin) joue le rôle de Joe. Le jeu le plus authentiquement inspiré par le Sud, et un Sud rural, est offert par Cher, remarquable, quoique les dix acteurs soient tous intéressants à regarder. Le public, ébloui par les vedettes, applaudit à tout romper la premiere entrée et la dernière sortie des trois actrices principales, ce qui provoque le genre d’interruptions gauche qu’on associe souvent aux pièces de Broadway, avec leurs interruptions quasiment rituelles. Dans leur vulgarité tapageuse et désireuse de plaire (toute comme les personnages d’Altman et la scène de Broadway elle-même), les débuts “officiels” au théâtre du cinéaste font penser qu’une seconde carrière du metteur en scène de The Long Goodbye et de California Split, aujourd’hui banni de Hollywood, peut être une bonne chose. Le moins qu’on puisse dire est qu’Altman recharge ses batteries –- ou, pour parler comme Popeye, qu’il avale des épinards pour se redonner ses forces. (Traduit de l’américain par Philippe Mikriammos)